"Yakuza, prostitution, ours et lolitas". Les jeux sont parfois comme les chansons d'amour, on a l'impression que chacun des couplets s'adresse directement au plus profond de son cœur.
Testé à partir d'une version import aimablement prêtée par Trader.
Des cascades en taxi. Des putains d'ours à assommer à mains nues. Je suis hypé au plus haut point ! Les trailers de Ryû ga Gotoku, alias Yakuza, mériteraient une récompense, rien qu'à eux. Celui du 5 était débilement génial. Toujours de la baston hyper violente, des acteurs super concernés par la motion-capture, des hôtesses de bars aux seins qui rebondissent lorsqu'elles jouent au pingpong, des mini-jeux à ne plus savoir qu'en faire. Pour rester neutre, on va dire que celui du 5 défonçait tout. 5 personnages. 5 villes ! Tout en allant piller les restes de Yu Suzuki en proposant Virtua Fighter 2 en mini-game, il nous mettait l'eau à la bouche avec son simulateur de taxi et ses jeux musicaux sur fond de j-pop. Toujours plus, toujours plus fort. L'apothéose, pour terminer au top, c'est l'uppercut dans la gueule d'un ours. En toute objectivité, il devait être le meilleur du monde.
Joe le Taxi
Devenu chauffeur de taxi, Kiryû se la joue profil bas en province. D'où le simulateur de taxi ainsi qu'un jeu de course de bagnoles. Dès le début, on sent que Yakuza sera "fat", avec des gros morceaux de tranches de vie. Mais cette vie paisible va s'arrêter quand son pote, en charge de son clan de yakuza depuis son absence, va disparaitre. "Mais attention, on n'a pas vu le corps". Et c'est parti pour la surenchère. Dès le début, Kiryû va devoir affronter à lui seul une centaine de mecs, tout en défonçant des boss gabarit sumo et en esquivant des missiles qui lui seront lancés dessus. No. Shit. Un QTE, un petit pas chassé et c'est réglé. Dès le premier chapitre. Et c'est vraiment génial quand on y arrive.
Yakuza Sons of the Patriot
Il y a des gens qui se plaignent que Yakuza est trop verbeux. Et même moi, en amateur de la série, je ne peux pas le nier : ça tchatche à mort. D'épisode en épisode, le nombre de personnages augmente, la trame grossit. Les premiers se finissaient en une dizaine d'heures si l'on n'essayait pas trop de chercher les clefs perdues des casiers de la consigne de la gare. Avec le 4 et le 5, on en arrive à trente voire quarante heures de déambulations avec de longs, très longs tunnels narratifs. On arrête tout, Kojima a trouvé son maître : parfois il vaut mieux poser la manette, sortir son bol de Chocapic et regarder. Entre ici, Yakuza 5 et tes cinq personnages. Soit autant de temps pour refaire les présentations, mettre en exergue les enjeux, etc. C'était très souvent indigeste mais ça passait. Malheureusement le 5 est assez mal écrit.
Aniki mon frère
Kurosawa disait que le plus important dans un film, c'est l'histoire, l'histoire et l'histoire. Le maître avait bien raison : même pour un film de genre, qu'il soit de samouraïs ou de yakuza, il faut bien écrire ses personnages, pour qu'ils nous touchent, nous les spectateurs. Ce que j'ai aimé dans le 4, c'est que les histoires des quatre protagonistes s'entremêlaient assez habilement. C'était un jeu choral, "omnibus" comme on dit au Japon, un assemblage qui trouvait sa raison d'être dans un final où, comme d'habitude, un gratte-ciel de Tokyo explose, où les méga-bogosses enlèvent leur costard Armani pour se battre, en mode tatouages apparents. Yakuza 5 ne retrouve jamais vraiment cette allégresse, cette poésie virile remplacée par de terribles maladresses d'écriture et des suspenses très convenus. Ce n'est pas aussi badass que ne le laissait sous-entendre ce génial trailer qui nous avait aussi un peu masqué les aléas techniques de Yakuza 5.
Shinjuku no Okami
Quel moteur 3D, mes aïeux. Le coloré producteur Toshiro Nagoshi nous avait prévenu, Ryû ga Gotoku 5 serait celui du changement, avec un moteur complètement refait. Et effectivement, il n'a pas été rafistolé, codé entièrement en repartant de zéro. Les visages sont toujours si beaux qu'on les boufferait. Mais le reste fait assez pitié. Et entendons-nous bien, je suis le genre de joueur qui se moque de la technique, le fun devrait passer avant tout. Je préfère les idées au framerate, le plaisir au nombre de polygones. Earth Defense Force a beau être laid à en crever, c'est un de mes jeux préférés de cette génération. Sega et son Ryû ga Gotoku nous ont fait miroiter un "New Yakuza", selon les termes de Nagoshi, alors que le résultat est tout simplement risible. 5 villes réduites en quelques pâtés de maison, passe encore. Mais ces personnages qui disparaissent, ces murs invisibles consternants... à se demander qui a validé ce travail. Bon sang, les séquences de neige n'ont rien à envier à un jeu 3DS. Le pire, c'est qu'on s'y fait. Porté par la passion, l'envie de faire avancer l'histoire, de draguer des hôtesses de bar et des petits "pin-pon" lénifiants du passage piéton de Shinjuku, on continue quand même. Mais que c'est vilain.
Vicieuses cités
A force de s'associer à de vraies marques ("Coucou Famitsu, bonne note kudasai" !) Yakuza 5 a décuplé son nombre de mini-quêtes, à tel point que ça en devient indigeste. Elles sont facultatives, heureusement, et toujours aussi passablement ridicules. Des ramen à distribuer sur chaussées glissantes, se déguiser en crevette panée géante pour faire de la pub, retrouver un chat, faire le figurant dans un film ou gagner le tournoi underground, que du bon. A chaque fois que je commence un Yakuza, je me dis "ok, je vais tout faire, même ramasser les ordures pour baisser mon empreinte écologique" (oui on peut le faire ici) mais au bout d'un moment, je me décourage. Yakuza 5 est l'épisode de la rupture, celui où il a failli devenir jeu total, avec un moteur 3D complet, mais sans jamais vraiment réussir.
Here comes un seul challenger
Il n'y a qu'un seul vrai nouveau personnage principal. Tatsuo Shinada est un joueur de baseball qui s'est fait griller un peu comme Nicola Karabatic, pour des histoires de paris. Le reste ne bouge pas trop. Mon petit chouchou Shun Akiyama va à Osaka pour du business tandis que le gros Taiga Saejima retourne en taule à Hokkaido d'où il va encore s'évader. Sa traversée sera le prétexte à une longue partie de chasse heureusement facultative car d'une laideur sans commune mesure.
Jpop Pedobear
Mais la meilleure partie de Yakuza 5 est celle de Haruka, la petite fille qui s'émancipe enfin de Kiryû. La petite est désormais sous la tutelle d'une manager qui a décidé de faire d'elle la nouvelle star de la Jpop.
Bien entendu, Yakuza 5 se devait de pousser encore plus loin le délire et la petite Haruka se transformera sur scène si l'on réalise un score suffisant. Normal, le Japon. Mais ce n'est pas tant pour ces délires que cette partie brille, ni pour la qualité de ses mini-jeux musicaux par ailleurs assez nuls. N'importe quel rhythm game du marché fait mieux que ça ce qui est rageant quand on sait que Sega édite aussi Hatsune Miku, le jeu musical le plus populaire du moment. La vraie classe de Yakuza 5, c'est son observation sinistre et cynique du marché de la musique japonaise. Pour augmenter sa popularité, Haruka sera obligée d'aller faire des émissions de télé débiles ou de se produire en spectacle dans les supermarchés ringards. Et puis le moment le plus malsain : devoir serrer la pogne des fans dégueulasses. Une main tenue suffisamment longtemps et c'est la jauge de satisfaction qui augmente. Mais attention aux pervers car un mot de trop peut gâcher leur rêve de déesse Jpop. Le frisson glaireux. Il ne serait pas étonnant que Yakuza 6, arrivé à l'âge où les filles deviennent officiellement des femmes, pousse encore plus loin son étude avec un mini-game où l'on rase le crâne de son idole déchue.
Après les sommets "badass" de Yakuza 4, on se disait que le cinquième allait tout péter. J'aime passionnément la série et le pire, c'est qu'il y a tellement de moments géniaux dans celui-là... Je ne vous cache pas que Yakuza 5 est un cas d'amour-haine extrême pour moi, un cas dont je me console chaque matin en regardant un montage de Heat Action ultra violent (Attention, spoilers, il y a du LoL et du nunchaku). Pour une bonne idée, il y aura forcément un interminable tunnel narratif qui aura tôt fait de nous faire dessouler de notre bonheur. C'est la triste vérité des jeux japonais d'aujourd'hui : aussi vrai qu'il ne suffit pas de mettre un sabre dans les mains d'une écolière pour faire un scénario, il ne suffit pas de taper des ours avec ses poings pour faire un bon jeu. Et ça m'arrache le cœur de dire ça.